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LES ROUGON-MACQUART

— Sais pas, répondit-il en regardant monter la fumée de son cigare. Toujours des histoires… Oh ! une bravoure à être claqué ! Ne recule jamais.

Bachelard serra la main aux nouveaux venus. Il adorait la jeunesse. Quand il sut qu’ils allaient chez Clarisse, il fut ravi, car lui-même s’y rendait avec Gueulin ; seulement, il fallait attendre son beau-frère Josserand, auquel il avait donné rendez-vous. Et il emplit la petite salle des éclats de sa voix, encombrant la table de toutes les consommations imaginables, pour régaler ses jeunes amis, avec la prodigalité enragée d’un homme qui ne comptait plus, dans les occasions de plaisir. Dégingandé, les dents trop neuves et le nez en flamme, sous sa calotte neigeuse de cheveux ras, il tutoyait les garçons, leur cassait les jambes, se rendait insupportable à ses voisins, au point que le patron vint deux fois le prier de sortir, s’il continuait. On l’avait chassé la veille du café de Madrid.

Mais une fille ayant paru, puis étant ressortie, après avoir fait le tour de la salle d’un air las, Octave parla des femmes. Bachelard cracha de côté, attrapa Trublot, sans même s’excuser. Les femmes lui avaient coûté trop d’argent ; il se flattait de s’être payé les plus belles de Paris. Dans la commission, on ne marchandait pas là-dessus : histoire de montrer qu’on était au-dessus de ses affaires. Maintenant, il se rangeait, il voulait être aimé. Et, Octave, devant ce braillard jetant au feu les billets de banque, songeait avec surprise à l’oncle qui exagérait son ivresse bégayante, pour échapper aux entreprises de la famille.

— Ne posez donc pas, mon oncle, dit Gueulin. On a toujours plus de femmes qu’on n’en veut.

— Alors, fichu serin, demanda Bachelard, pourquoi n’en as-tu jamais ?

Gueulin haussa les épaules, plein de mépris.