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POt-BOUILLE

— Pourquoi ?… Tenez ! pas plus tard qu’hier, j’ai dîné avec un ami et sa maîtresse. Tout de suite, la maîtresse m’a flanqué des coups de pied, sous la table. C’était une occasion, n’est-ce pas ? Eh bien ! quand elle m’a demandé de la reconduire, j’ai filé, et je cours encore… Oh ! sur le moment, je ne dis pas, ça n’aurait rien eu de désagréable. Mais ensuite, ensuite, mon oncle ! Peut-être une femme collante qui me serait retombée sur le dos… Pas si bête !

Trublot l’approuvait d’un hochement de tête, car lui aussi avait renoncé aux femmes de la société, par terreur des embêtements du lendemain. Et Gueulin, sortant de son flegme, continua à donner des exemples. Un jour, en chemin de fer, une brune superbe, qu’il ne connaissait pas, s’était endormie sur son épaule ; mais il avait réfléchi, qu’en aurait-il fait, en arrivant à la gare ? Un autre jour, après une noce, il avait trouvé dans son lit la femme d’un voisin ; hein ? c’était un peu fort, et il aurait commis la bêtise, sans cette idée que, pour sûr, elle lui demanderait ensuite des bottines.

— Des occasions, mon oncle ! dit-il en terminant, personne n’a des occasions comme moi ! Mais je me retiens… Tout le monde, d’ailleurs, se retient ; on a peur des suites. Sans ça, parbleu ! ce serait trop agréable. Bonjour, bonsoir, on ne verrait que ça dans les rues.

Bachelard, devenu rêveur, n’écoutait plus. Son tapage était tombé, il avait les yeux humides.

— Si vous étiez bien sages, dit-il brusquement, je vous montrerais quelque chose.

Et, après avoir payé, il les emmena. Octave lui rappela le père Josserand. Ça ne faisait rien, on reviendrait le chercher. Puis, avant de quitter la salle, l’oncle, jetant un regard furtif autour de lui, vola le sucre