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LES ROUGON-MACQUART

Sa mère avait déclaré qu’il était trop dangereux de le garder pour la cérémonie ; on ne pouvait lâcher, au milieu d’une noce, un fou qui parlait d’embrocher le monde ; et M. Josserand, le cœur crevé, avait dû demander l’admission du pauvre être à l’asile des Moulineaux, chez le docteur Chassagne. On fit entrer le fiacre sous le porche, au crépuscule. Saturnin descendit, tenant la main de Berthe, croyant partir avec elle pour la campagne. Mais, lorsqu’il fut dans la voiture, il se débattit furieusement, cassa les vitres, agita par les portières des poings ensanglantés. Et M. Josserand remonta en pleurant, bouleversé de ce départ au fond des ténèbres, ayant toujours dans les oreilles les hurlements du malheureux, mêlés au claquement du fouet et au galop du cheval.

Pendant le dîner, comme des larmes lui mouillaient encore les yeux, à la vue de la place de Saturnin vide désormais, il impatienta sa femme, qui, sans comprendre, cria :

— En voilà assez, n’est-ce pas ? monsieur. Vous n’allez peut-être pas marier votre fille avec cette figure d’enterrement… Tenez ! sur ce que j’ai de plus sacré, sur la tombe de mon père, l’oncle payera les dix premiers mille francs, j’en réponds ! Il me l’a formellement juré, en sortant de chez le notaire.

M. Josserand ne répondit même pas. Il passa la nuit à faire des bandes. Au petit jour, dans le frisson du matin, il achevait son deuxième mille et gagnait six francs. Plusieurs fois, il avait levé la tête comme d’habitude, pour écouter si Saturnin ne remuait point, à côté. Puis, la pensée de Berthe lui donnait une nouvelle fièvre de travail. Pauvre petite, elle aurait voulu être en moire blanche. Enfin, avec six francs, elle pourrait mettre davantage à son bouquet de mariée.