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LES ROUGON-MACQUART

Cependant, Berthe, qui dansait enfin avec son mari, dut lui dire un mot tout bas ; car Auguste, mis au courant de l’histoire, tourna la tête ; et, sans perdre la mesure, il regardait son frère Théophile, avec l’étonnement et la supériorité d’un homme auquel des choses pareilles ne peuvent pas arriver. Il y eut un galop final, la société se lâchait dans la chaleur étouffante, dans la clarté rousse des bougies, dont les flammes vacillantes faisaient éclater les bobèches.

— Vous êtes bien avec elle ? demanda madame Hédouin, en tournant au bras d’Octave, dont elle avait accepté une invitation.

Le jeune homme crut sentir un léger frisson dans sa taille si droite et si calme.

— Nullement, dit-il. Ils m’ont mêlé à cela, je suis fort ennuyé de l’aventure… Le pauvre diable a tout avalé.

— C’est très mal, déclara-t-elle de sa voix grave.

Sans doute, Octave s’était trompé. Quand il dénoua son bras, madame Hédouin ne soufflait même pas, les yeux clairs, les bandeaux corrects. Mais un scandale troublait la fin du bal. L’oncle Bachelard, qui s’était achevé au buffet, venait de risquer une idée gaie. Brusquement, on l’avait aperçu dansant devant Gueulin un pas de la dernière indécence. Dans les devants de son habit boutonné, des serviettes roulées lui faisaient une gorge de nourrice ; et deux grosses oranges posées sur les serviettes, débordant des revers, montraient leur rondeur, d’un rouge sanguinolent de peau écorchée. Cette fois, tout le monde protesta : on a beau gagner beaucoup d’argent, il y a des limites qu’un homme convenable ne doit jamais dépasser, surtout devant de jeunes personnes. M. Josserand, honteux et désespéré, fit sortir son beau-frère. Duveyrier montra le plus grand dégoût.