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LES ROUGON-MACQUART

pieds la Vierge et Madeleine. Je le plante au sommet d’un rocher, je détache les statues blanches sur un fond gris ; et c’est alors que mon jour de coupole les éclaire comme d’un rayon invisible, d’une clarté vive qui les fait venir en avant, qui les anime d’une vie surnaturelle… Vous verrez ça, vous verrez ça !

Et il se tourna pour crier à un ouvrier :

— Enlevez donc la Vierge, vous allez finir par lui casser la cuisse.

L’ouvrier appela un camarade. À eux deux, ils empoignèrent la Vierge par les reins, puis la portèrent à l’écart, comme une grande fille blanche, tombée raide d’une attaque nerveuse.

— Méfiez-vous ! répétait le prêtre qui les suivait au milieu des gravats, sa robe est déjà fêlée. Attendez !

Il leur donna un coup de main, saisit Marie par le dos et sortit tout plâtreux de cet embrassement.

— Alors, reprit-il en revenant vers Octave, imaginez que les deux baies de la nef, là, devant nous, soient ouvertes, et allez vous placer dans la chapelle de la Vierge. Par-dessus l’autel, à travers la chapelle de l’Adoration perpétuelle, tout au fond, vous apercevrez le Calvaire… Et vous imaginez-vous l’effet, ces trois grandes figures, ce drame simple et nu, dans cet enfoncement de tabernacle, au delà de cette nuit mystérieuse des vitraux, de ces lampes et de ces candélabres d’or… Hein ? je crois que ce sera irrésistible ?

Il devenait éloquent, il riait d’aise, très fier de son idée.

— Les plus sceptiques seront remués, dit Octave pour lui faire plaisir.

— N’est-ce pas ? cria-t-il. Il me tarde de voir tout cela en place.

En revenant dans la nef, il s’oublia, il garda sa voix haute, son allure d’entrepreneur ; et il parlait de Cam-