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POt-BOUILLE

— Eh bien ! monsieur, voulez-vous que nous commencions ? reprit-elle. Vous excusez mon importunité, n’est-ce pas ?… Et lâchez-vous, donnez tous vos moyens, puisque monsieur Duveyrier n’est pas là… Vous l’avez peut-être entendu se vanter de ne pas aimer la musique ?

Elle mettait un tel mépris dans cette phrase, qu’il crut devoir risquer un léger rire. C’était d’ailleurs l’attaque unique qui lui échappait parfois contre son mari devant le monde, exaspérée des plaisanteries de ce dernier sur son piano, elle qui était assez forte pour cacher la haine et la répulsion physique qu’il lui inspirait.

— Comment peut-on ne pas aimer la musique ? répétait Octave d’un air d’extase, afin de lui être agréable.

Alors, elle s’assit. Un recueil d’anciens airs était ouvert sur le pupitre. Elle avait choisi un morceau de Zémire et Azor, de Grétry. Comme le jeune homme lisait tout au plus ses notes, elle le lui fit d’abord déchiffrer à demi-voix. Puis, elle joua le prélude, et il commença.

Du moment qu’on aime,
L’on devient si doux…

— Parfait ! cria-t-elle ravie, un ténor, il n’y a pas à en douter, un ténor !… Continuez, monsieur.

Octave, très flatté, fila les deux autres vers.

Et je suis moi-même
Plus tremblant que vous.

Elle rayonnait. Voilà trois ans qu’elle en cherchait un ! Et elle lui conta ses déboires, M. Trublot par exemple ; car, c’était un fait dont on aurait dû étudier les causes, il n’y avait plus de ténors parmi les jeunes gens de la société : sans doute le tabac.