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LES ROUGON-MACQUART

— Attention, maintenant ! reprit-elle, nous allons y mettre de l’expression… Attaquez avec franchise.

Son visage froid prit une langueur, ses yeux se tournèrent vers lui d’un air mourant. Croyant qu’elle s’échauffait, il s’animait aussi, la trouvait charmante. Pas un bruit ne venait des pièces voisines, l’ombre vague du grand salon semblait les envelopper d’une volupté assoupie ; et, penché derrière elle, frôlant son chignon de sa poitrine, pour mieux voir la musique, il soupirait dans un frisson les deux vers :

Et je suis moi-même
Plus tremblant que vous.

Mais, la phrase mélodique achevée, elle laissa tomber son expression passionnée comme un masque. Sa froideur était dessous. Il se recula, inquiet, ne voulant pas recommencer son aventure avec madame Hédouin.

— Vous irez très bien, disait-elle. Accentuez seulement davantage la mesure… Tenez, comme ça.

Et elle chanta elle-même, elle répéta à vingt reprises : « Plus tremblant que vous, » en détachant les notes avec une rigueur de femme impeccable, dont la passion musicale était à fleur de peau, dans la mécanique. Sa voix montait peu à peu, emplissait la pièce de cris aigus, lorsque tous deux entendirent brusquement, derrière leur dos, quelqu’un dire très fort :

— Madame, madame !

Elle eut un sursaut, et reconnaissant sa femme de chambre Clémence :

— Hein ? quoi ?

— Madame, c’est monsieur votre père qui est tombé le nez dans ses écritures et qui ne bouge plus… Il nous fait peur.

Alors, sans bien comprendre, pleine de surprise, elle quitta le piano, elle suivit Clémence. Octave, qui