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POT-BOUILLE

portrait de M. P*** », Clotilde se planta devant lui et dit à voix basse, résolument :

— Allez le chercher.

Et, comme il s’étonnait, elle sembla, d’un haussement d’épaules, jeter de côté l’histoire du rapport sur l’affaire de la rue de Provence, un de ces éternels prétextes qu’elle inventait pour le monde. Dans son émotion, elle lâchait tout.

— Vous savez, rue de la Cerisaie… Tous nos amis le savent.

Il voulut protester.

— Je vous jure, madame…

— Ne le défendez donc pas ! reprit-elle. Je suis trop heureuse, il peut y rester… Ah ! mon Dieu ! si ce n’était pas pour mon pauvre père !

Octave s’inclina. Julie était en train de débarbouiller l’œil de M. Vabre, avec le coin d’une serviette ; mais l’encre séchait, l’éclaboussure demeurait dans la peau, marquée en taches livides. Madame Duveyrier recommanda de ne pas le frotter si fort ; puis, elle revint au jeune homme, qui se trouvait déjà près de la porte.

— Pas un mot à personne, murmura-t-elle. Il est inutile de bouleverser la maison… Prenez un fiacre, frappez là-bas, ramenez-le quand même.

Quand il fut parti, elle se laissa tomber sur une chaise, au chevet du malade. Il n’avait pas repris connaissance, sa respiration seule, un souffle long et pénible, troublait le silence morne de la chambre. Alors, comme le médecin n’arrivait pas, se voyant seule avec les deux bonnes qui regardaient, l’air effaré, elle éclata en gros sanglots, dans une crise de profonde douleur.

C’était au Café anglais que l’oncle Bachelard avait invité Duveyrier, sans qu’on sût pourquoi, peut-être pour le plaisir de traiter un conseiller à la cour, et de