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POt-BOUILLE

choix de vins vraiment royal : madère vieux au potage, château-filhot 58 aux hors-d’œuvre, johannisberg et pichon-longueville aux relevés, château-lafite 48 aux entrées, sparling-moselle au rôti, rœderer frappé au dessert. Il regretta beaucoup une bouteille de johannisberg, âgée de cent cinq ans, qu’on avait vendue dix louis à un Turc, trois jours plus tôt.

— Buvez donc, monsieur, répétait-il sans cesse à Duveyrier ; quand les vins sont bons, ils ne grisent pas… C’est comme la nourriture, elle ne fait jamais de mal, si elle est délicate.

Lui, cependant, se surveillait. Ce jour-là, il posait pour l’homme bien, une rose à la boutonnière, peigné et rasé, se retenant de casser la vaisselle, ainsi qu’il en avait l’habitude. Trublot et Gueulin mangeaient de tout. La théorie de l’oncle semblait vraie, car Duveyrier lui-même, qui souffrait de l’estomac, avait bu considérablement et était revenu à la salade d’écrevisses, sans être troublé, les taches rouges de sa face avivées seulement d’un sang violâtre.

À neuf heures, le dîner durait encore. Les candélabres, dont une croisée ouverte effarait les flammes, allumaient les pièces d’argenterie et les cristaux ; et, au milieu de la débandade du couvert, quatre corbeilles de fleurs superbes se fanaient. Outre les deux maîtres d’hôtel, il y avait derrière chaque convive un valet, spécialement chargé de veiller au pain, au vin, au changement des assiettes. Il faisait chaud, malgré l’air frais du boulevard. Une plénitude montait, dans les épices fumantes des plats et dans l’odeur vanillée des grands crus.

Alors, lorsqu’on eut apporté le café, avec des liqueurs et des cigares, et que tous les garçons se furent retirés, l’oncle Bachelard, se renversant tout d’un coup sur sa chaise, lâcha un soupir de satisfaction.