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LES ROUGON-MACQUART

— Ah ! déclara-t-il, on est bien.

Trublot et Gueulin s’étaient également renversés, les bras ouverts.

— Complet ! dit l’un.

— Jusqu’aux yeux ! ajouta l’autre.

Duveyrier, qui soufflait, hocha la tête et murmura :

— Oh ! les écrevisses !

Tous quatre, ils se regardèrent en ricanant. Ils avaient la peau tendue, la digestion lente et égoïste de quatre bourgeois qui venaient de s’emplir, à l’écart des ennuis de la famille. Ça coûtait très cher, personne n’en avait mangé avec eux, aucune fille n’était là pour abuser de leur attendrissement ; et ils se déboutonnaient, ils mettaient leurs ventres sur la table. Les yeux à demi clos, ils évitèrent même d’abord de parler, absorbé chacun dans son plaisir solitaire. Puis, libres, tout en se félicitant qu’il n’y eût pas de femmes, ils posèrent les coudes sur la nappe, rapprochèrent leurs visages allumés, et ne causèrent que des femmes, interminablement.

— Moi, je suis désabusé, déclara l’oncle Bachelard. La vertu est encore ce qu’il y a de meilleur.

Duveyrier approuva d’un signe de tête.

— Aussi ai-je dit adieu au plaisir… Ah ! j’ai roulé, je le confesse. Tenez ! rue Godot-de-Mauroy, je les connais toutes. Des créatures blondes, brunes, rouges, et qui des fois, pas souvent, ont des corps très bien… Puis, il y a les sales coins, vous savez, des hôtels garnis à Montmartre, des bouts de ruelle noire dans mon quartier, où l’on en rencontre d’étonnantes, très laides, avec des machines extraordinaires…

— Oh ! les filles ! interrompit Trublot de son air supérieur, quelle blague ! C’est moi qui ne coupe pas là-dedans !… On n’en a jamais pour son argent, avec elles.

Cette conversation risquée chatouillait délicieusement