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POT-BOUILLE

Duveyrier. Il buvait du kummel à petits coups, sa face raide de magistrat tiraillée par de courts frissons sensuels.

— Moi, dit-il, je ne puis admettre le vice. Il me révolte… N’est-ce pas ? pour aimer une femme, il faut l’estimer ? Ça me serait impossible d’approcher une de ces malheureuses, à moins, bien entendu, qu’elle ne témoignât du repentir, qu’on ne l’eût tirée de sa vie de désordre, pour lui refaire une honnêteté. L’amour ne saurait avoir de plus noble mission… Enfin, une maîtresse honnête, vous m’entendez… Alors, je ne dis pas, je suis sans force.

— Mais j’en ai eu, des maîtresses honnêtes ! cria Bachelard. Elles sont encore plus assommantes que les autres ; et salopes avec ça ! Des gaillardes qui, derrière votre dos, font une noce à vous flanquer des maladies !… Par exemple, ma dernière, une petite dame très bien, que j’avais rencontrée à la porte d’une église. Je lui loue, aux Ternes, un commerce de modes, histoire de la poser ; pas une cliente, d’ailleurs. Eh bien ! monsieur, vous me croirez si vous voulez, mais elle couchait avec toute la rue.

Gueulin ricanait, ses cheveux rouges plus hérissés que de coutume, le front en sueur sous ce flamboiement. Il murmura, en suçant son cigare :

— Et l’autre, la grande de Passy, celle au magasin de bonbons… Et l’autre, celle en chambre, là-bas, avec ses trousseaux pour les orphelins… Et l’autre, la veuve du capitaine, rappelez-vous ! qui montrait sur son ventre un coup de sabre… Toutes, l’oncle, toutes, elles se sont fichues de vous ! Maintenant, n’est-ce pas ? je puis vous le dire. Eh bien ! j’ai dû me défendre, un soir, contre celle au coup de sabre. Elle voulait, mais moi pas si bête ! On ne sait jamais où ça vous mène, des femmes pareilles !