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LES ROUGON-MACQUART

son patron, celui-ci ayant l’habitude de nourrir ses employés, pour les garder sous la main, il lui témoigna une complaisance sans bornes, l’écouta au dessert, approuva bruyamment ses idées. Même, en particulier, il parut épouser son mécontentement contre sa femme, au point de feindre de la surveiller et de le renseigner ensuite par de petits rapports. Auguste fut très touché ; il avoua un soir au jeune homme qu’il avait failli un instant le renvoyer, car il le croyait de connivence avec sa belle-mère. Octave, glacé, manifesta aussitôt de l’horreur pour madame Josserand, ce qui acheva de les rapprocher dans une complète communauté d’opinions. Du reste, le mari était un bon homme au fond, simplement désagréable, mais volontiers résigné, tant qu’on ne le jetait pas hors de lui, en dépensant son argent ou en touchant à sa morale. Il jurait même de ne plus se mettre en colère, car il avait eu, après la querelle, une migraine abominable, dont il était resté idiot pendant trois jours.

— Vous me comprenez, vous ! disait-il au jeune homme. Je veux ma tranquillité… En dehors de ça, je me fiche de tout, la vertu mise à part bien entendu, et pourvu que ma femme n’emporte pas la caisse. Hein ? je suis raisonnable, je n’exige pas d’elle des choses extraordinaires ?

Et Octave exaltait sa sagesse, et ils célébraient ensemble les douceurs de la vie plate, des années toujours semblables, passées à métrer de la soie. Même, pour lui plaire, le commis abandonnait ses idées de grand commerce. Un soir, il l’avait effaré, en reprenant son rêve de vastes bazars modernes, et en lui conseillant, comme à madame Hédouin, d’acheter la maison voisine, afin d’élargir sa boutique. Auguste, dont la tête éclatait déjà au milieu de ses quatre comptoirs, le regardait avec une telle épouvante de commerçant habitué à