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POT-BOUILLE

les rares fonds de sauce laissés par les maîtres.

— Mais elle a donc mangé tout le lapin ! cria madame Josserand.

— C’est vrai, dit Hortense, il restait le morceau de la queue… Ah ! non, le voici. Aussi ça m’étonnait qu’elle eût osé… Vous savez, je le prends. Il est froid, mais tant pis !

Berthe furetait de son côté, inutilement. Enfin, elle mit la main sur une bouteille, dans laquelle sa mère avait délayé un vieux pot de confiture, de façon à fabriquer du sirop de groseille pour ses soirées. Elle s’en versa un demi-verre, en disant :

— Tiens, une idée ! je vais tremper du pain là-dedans, moi !… Puisqu’il n’y a que ça !

Mais madame Josserand, inquiète, la regardait avec sévérité.

— Ne te gêne pas, emplis le verre pendant que tu y es !… Demain, n’est-ce pas ? j’offrirai de l’eau à ces dames et à ces messieurs ?

Heureusement, un nouveau méfait d’Adèle interrompit sa réprimande. Elle tournait toujours, cherchant des crimes, lorsqu’elle aperçut un volume sur la table ; et ce fut une explosion suprême.

— Ah ! la sale ! elle a encore apporté mon Lamartine dans la cuisine !

C’était un exemplaire de Jocelyn. Elle le prit, le frotta, comme si elle l’eût essuyé ; et elle répétait qu’elle lui avait défendu vingt fois de le traîner ainsi partout, pour écrire ses comptes dessus. Berthe et Hortense, cependant, s’étaient partagé le petit morceau de pain qui restait ; puis, emportant leur souper, elles avaient dit qu’elles voulaient se déshabiller d’abord. La mère jeta sur le fourneau glacé un dernier coup d’œil, et retourna dans la salle à manger, en tenant son Lamartine étroitement serré sous la chair débordante de son bras.