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LES ROUGON-MACQUART

M. Josserand continua d’écrire. Il espérait que sa femme se contenterait de l’accabler d’un regard de mépris, en traversant la pièce pour aller se coucher. Mais elle se laissa tomber de nouveau sur une chaise, en face de lui, et le regarda fixement, sans parler. Il sentait ce regard, il était pris d’une telle anxiété, que sa plume crevait le papier mince des bandes.

— C’est donc vous qui avez empêché Adèle de faire une crème pour demain soir ? dit-elle enfin.

Il se décida à lever la tête, stupéfait.

— Moi, ma bonne !

— Oh ! vous allez encore dire non, comme toujours… Alors, pourquoi n’a-t-elle pas fait la crème que je lui ai commandée ?… Vous savez bien que demain, avant notre soirée, nous avons à dîner l’oncle Bachelard, dont la fête tombe très mal, juste un jour de réception. S’il n’y a pas une crème, il faudra une glace, et voilà encore cinq francs jetés à l’eau !

Il n’essaya pas de se disculper. N’osant reprendre son travail, il se mit à jouer avec son porte-plume. Un silence régna.

— Demain matin, reprit madame Josserand, vous me ferez le plaisir d’entrer chez les Campardon et de leur rappeler très poliment, si vous pouvez, que nous comptons sur eux pour le soir… Leur jeune homme est arrivé cette après-midi. Priez-les de l’amener. Entendez-vous, je veux qu’il vienne.

— Quel jeune homme ?

— Un jeune homme, ce serait trop long à vous expliquer… J’ai pris mes renseignements. Il faut bien que j’essaye de tout, puisque vous me lâchez vos filles sur les bras, comme un paquet de sottises, sans plus vous occuper de leur mariage que de celui du grand Turc.

Cette idée ralluma sa colère.