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LES ROUGON-MACQUART

ne pouvait la reprendre : son désir s’en allait, il tombait à une lassitude, à une grande tristesse. Mais la jeune femme tressaillit. Lisa venait de prononcer son nom.

— En parlant de farceuse, en voilà une qui m’a l’air de s’en payer !… Eh ! Adèle, pas vrai que ta mademoiselle Berthe rigolait déjà toute seule, quand tu lavais encore ses jupons ?

— Maintenant, dit Victoire, elle se fait donner un coup de plumeau par le commis de son homme… Pas de danger qu’il y ait de la poussière !

— Chut ! souffla doucement Hippolyte.

— Tiens ! à cause ? Son chameau de bonne n’est pas là, aujourd’hui… Une sournoise qui vous mangerait, quand on parle de sa maîtresse ! Vous savez qu’elle est juive et qu’elle a assassiné quelqu’un, chez elle… Peut-être bien que le bel Octave l’époussette aussi, dans les encoignures. Le patron a dû l’embaucher pour faire les enfants, ce grand serin-là !

Alors, Berthe, torturée d’une angoisse indicible, leva les yeux sur son amant. Et, suppliante, implorant un appui, elle balbutia de sa voix douloureuse :

— Mon Dieu ! mon Dieu !

Octave lui prit la main, la serra fortement, étranglé lui aussi par une colère impuissante. Que faire ? il ne pouvait se montrer, imposer silence à ces filles. Les mots ignobles continuaient, des mots que la jeune femme n’avait jamais entendus, toute une débâcle d’égout, qui, chaque matin, se déversait là, près d’elle, et qu’elle ne soupçonnait même pas. Maintenant, leurs amours, si soigneusement cachées, traînaient au milieu des épluchures et des eaux grasses. Ces filles savaient tout, sans que personne eût parlé. Lisa racontait comment Saturnin tenait la chandelle ; Victoire rigolait des maux de tête du mari, qui aurait dû se faire poser un