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POT-BOUILLE

— Vous le voyez, je me contiens, mais j’en ai, oh ! j’en ai par-dessus la tête !… Ne dites rien, monsieur, ne dites rien, ou vraiment j’éclate…

Il ne dit rien, et elle éclata quand même.

— À la fin, c’est insoutenable ! Je vous avertis, moi, que je file un de ces quatre matins, et que je vous plante là, avec vos deux cruches de filles… Est-ce que j’étais née pour cette vie de sans-le-sou ? Toujours couper les liards en quatre, se refuser jusqu’à une paire de bottines, ne pas même pouvoir recevoir ses amis d’une façon propre ! Et tout cela par votre faute !… Ah ! ne remuez pas la tête, ne m’exaspérez pas davantage ! Oui, par votre faute !… Vous m’avez trompée, monsieur, ignoblement trompée. On n’épouse pas une femme, quand on est décidé à la laisser manquer de tout. Vous faisiez le fanfaron, vous posiez pour un bel avenir, vous étiez l’ami des fils de votre patron, de ces frères Bernheim, qui, depuis, se sont si bien fichus de vous… Comment ? vous osez prétendre qu’ils ne se sont pas fichus de vous ? Mais vous devriez être leur associé, à cette heure ! C’est vous qui avez fait leur cristallerie ce qu’elle est, une des premières maisons de Paris, et vous êtes resté leur caissier, un subalterne, un homme à gages… Tenez ! vous manquez de cœur, taisez-vous.

— J’ai huit mille francs, murmura l’employé. C’est un beau poste.

— Un beau poste, après plus de trente ans de service ! reprit madame Josserand. On vous mange, et vous êtes ravi… Savez-vous ce que j’aurais fait, moi ? eh bien ! j’aurais mis vingt fois la maison dans ma poche. C’était si facile, j’avais vu ça en vous épousant, je n’ai cessé de vous y pousser depuis. Mais il fallait de l’initiative et de l’intelligence, il s’agissait de ne pas s’endormir sur son rond de cuir, comme un empoté.