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POT-BOUILLE

débarrassé du verre, il lui saisit les mains, les garda, tandis qu’elle souriait, sans crainte aucune. Il la trouvait charmante, dans sa pâleur de femme endolorie. Toute la tendresse sourde dont il se sentait envahi de nouveau, montait avec une brusque violence, jusqu’à sa gorge, jusqu’à ses lèvres. Il l’avait un soir rendue au mari, après lui avoir mis au front un baiser de père, et c’était maintenant un besoin de la reprendre, un désir immédiat et aigu, dans lequel le désir de Berthe se noyait, s’évanouissait, comme trop lointain.

— Vous n’avez donc pas peur, aujourd’hui ? demanda-t-il, en lui serrant les mains plus fort.

— Non, puisque c’est impossible désormais… Oh ! nous restons toujours bons amis !

Et elle fit entendre qu’elle savait tout. Saturnin avait dû parler. D’ailleurs, les nuits où Octave recevait une certaine personne, elle s’en apercevait bien. Comme il blêmissait d’inquiétude, elle le rassura vite : jamais elle ne dirait rien à personne, elle n’était pas en colère, elle lui souhaitait au contraire beaucoup de félicité.

— Voyons, répétait-elle, puisque je suis mariée, je ne puis vous en vouloir.

Il l’avait assise sur ses genoux, il lui cria :

— Mais c’est toi que j’aime !

Et il disait vrai, il n’aimait qu’elle en ce moment, d’une passion absolue, infinie. Toute sa nouvelle liaison, les deux mois passés à en désirer une autre, avaient disparu. Il se revoyait dans cette étroite pièce, venant baiser Marie sur le cou, derrière le dos de Jules, la trouvant à chaque heure complaisante, avec sa douceur passive. C’était le bonheur, comment avait-il pu dédaigner cela ? Un regret lui brisait le cœur. Il la voulait encore, et s’il ne l’avait plus, il sentait bien qu’il serait éternellement malheureux.

— Laissez-moi, murmurait-elle, en tâchant de se