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LES ROUGON-MACQUART

— Bah ! dit Auguste pour faire le brave, je vais lui casser une patte… Parole d’honneur ! je me ficherais du reste, si je n’avais pas mal à la tête !

Au moment de sonner chez les Duveyrier, Théophile songea tout d’un coup que le conseiller pouvait ne pas y être, car depuis le jour où il avait retrouvé Clarisse, il se lâchait complètement, il finissait par découcher. Hippolyte, qui leur ouvrit, évita en effet de répondre au sujet de monsieur ; mais il dit que ces messieurs allaient trouver madame en train de faire ses gammes. Ils entrèrent. Clotilde, sanglée dans un corset dès son lever, était à son piano, montant et descendant le clavier, d’un mouvement régulier et continu des mains ; et, comme elle se livrait à cet exercice pendant deux heures chaque jour, pour ne pas perdre la légèreté de son jeu, elle occupait ailleurs son intelligence, elle lisait la Revue des deux mondes, ouverte sur le pupitre, sans que la mécanique de ses doigts en éprouvât le moindre ralentissement.

— Tiens ! c’est vous ! dit-elle, lorsque ses frères l’eurent tirée de l’averse battante des notes, qui l’isolait et la criblait, comme sous un nuage de grêle.

Et elle ne montra même pas son étonnement, lorsqu’elle aperçut Théophile. D’ailleurs, celui-ci demeurait très raide, en homme qui venait pour un autre. Auguste tenait une histoire prête, repris de honte à l’idée d’instruire sa sœur de son infortune, craignant de l’épouvanter avec son duel. Mais elle ne lui laissa pas le temps de mentir, elle le questionna, de son air tranquille, après l’avoir regardé.

— Que comptes-tu faire maintenant ?

Il tressaillit, rougissant. Tout le monde le savait donc ? Et il répondit du ton brave dont il avait déjà fermé la bouche à Théophile :

— Me battre, parbleu !