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POT-BOUILLE

et il lui posait les doigts sur les touches, il les frottait pour les déraidir. Un instant, Duveyrier hésita, visiblement très contrarié. Mais ces messieurs l’attendaient, il alla mettre ses bottes. Quand il revint, elle pataugeait dans des gammes, en déchaînant une tempête de notes fausses, dont Auguste et Bachelard étaient malades. Pourtant, lui, que le Mozart et le Beethoven de sa femme rendaient fou, s’arrêta une minute derrière sa maîtresse, parut goûter les sons, malgré les contractions nerveuses de son visage ; et, se tournant vers les deux autres, il murmura :

— Elle a des dispositions étonnantes.

Après l’avoir baisée sur les cheveux, il se retira discrètement, il la laissa avec Théodore. Dans l’antichambre, le grand voyou de frère lui demanda, de son air blagueur, vingt sous pour du tabac. Puis, comme en descendant l’escalier, Bachelard s’étonnait de sa conversion aux charmes du piano, il jura ne l’avoir jamais détesté, il parla de l’idéal, dit combien les simples gammes de Clarisse lui remuaient l’âme, cédant à son continuel besoin de mettre des petites fleurs bleues, dans ses gros appétits de mâle.

En bas, Trublot avait donné un cigare au cocher, dont il écoutait l’histoire avec le plus vif intérêt. L’oncle voulut absolument aller déjeuner chez Foyot ; c’était l’heure, et l’on causerait mieux en mangeant. Puis, quand le fiacre fut parvenu à démarrer une fois encore, il mit au courant Duveyrier, qui devint très grave.

Le malaise d’Auguste paraissait avoir augmenté chez Clarisse, où il n’avait pas prononcé une parole ; et, maintenant, brisé par cette promenade interminable, la tête prise tout entière et lourde de migraine, il s’abandonnait.

Lorsque le conseiller le questionna sur ce qu’il