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LES ROUGON-MACQUART

comptait faire, il ouvrit les yeux, il resta un moment plein d’angoisse, puis il répéta sa phrase :

— Me battre, parbleu !

Seulement, sa voix mollissait, et il ajouta en refermant les paupières, comme pour demander qu’on le laissât tranquille :

— À moins que vous ne trouviez autre chose.

Alors, dans les cahots laborieux du fiacre, ces messieurs tinrent un grand conseil. Duveyrier, ainsi que Bachelard, jugeait le duel indispensable ; il s’en montrait fort ému, à cause du sang, dont il voyait un flot noir salir l’escalier de son immeuble ; mais l’honneur le voulait, et l’on ne transigeait pas avec l’honneur. Trublot avait des idées plus larges : c’était trop bête, de mettre son honneur dans ce qu’il appelait par propreté la fragilité d’une femme. Aussi Auguste l’approuvait-il d’un mouvement las des paupières, outré à la fin de la rage belliqueuse des deux autres, dont le rôle pourtant aurait dû être tout de conciliation. Malgré sa fatigue, il fut forcé de raconter une fois encore la scène de la nuit, la gifle qu’il avait donnée, puis la gifle qu’il avait reçue ; et bientôt l’adultère disparut, la discussion porta uniquement sur ces deux gifles : on les commenta, on les analysa, pour tâcher d’y trouver une solution satisfaisante.

— En voilà des raffinements ! finit par dire Trublot avec mépris. S’ils se sont giflés tous les deux, eh bien ! ils sont quittes.

Duveyrier et Bachelard se regardèrent, ébranlés. Mais on arrivait au restaurant, et l’oncle déclara qu’on allait bien déjeuner d’abord. Ça leur éclaircirait les idées. Il les invitait, il commanda un déjeuner copieux, avec des plats et des vins extravagants, qui les retinrent trois heures dans un cabinet. On ne parla pas une fois du duel. Dès les hors-d’œuvre, la conversation