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LES ROUGON-MACQUART

dante dans une vieille robe de soie verte, qu’elle finissait d’user le matin, sans corset.

Mais une scène fâcheuse gâta le déjeuner. Tout d’un coup, madame Josserand interpella la bonne.

— Qu’est-ce que vous mangez donc ?

Depuis un instant, elle la surveillait. Adèle, en savates, tournait lourdement autour de la table.

— Rien, madame, répondit-elle.

— Comment ! rien !… Vous mâchez, je ne suis pas aveugle. Tenez ! vous en avez encore plein les dents. Oh ! vous aurez beau vous creuser les joues, ça se voit tout de même… Et c’est dans votre poche, n’est-ce pas ? ce que vous mangez.

Adèle se troubla, voulut reculer. Mais madame Josserand l’avait saisie par la jupe.

— Voilà un quart d’heure que je vous vois sortir des choses de là dedans et vous les fourrer sous le nez, en les cachant dans le creux de votre main… C’est donc bien bon ? Montrez un peu.

Elle fouilla à son tour et retira une poignée de pruneaux cuits. Du jus coulait encore.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? cria-t-elle furieusement.

— Des pruneaux, madame, dit la bonne, qui, se voyant découverte, devenait insolente.

— Ah ! vous mangez mes pruneaux ! C’est donc ça qu’ils filent si vite et qu’ils ne reparaissent plus sur la table !… S’il est possible, des pruneaux ! dans une poche !

Et elle l’accusa de boire aussi son vinaigre. Tout disparaissait ; on ne pouvait laisser traîner une pomme de terre, sans être certain de ne plus la retrouver.

— Vous êtes un gouffre, ma fille.

— Donnez-moi de quoi manger, répliqua carrément Adèle, je ne dirai rien à vos pommes de terre.