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POT-BOUILLE

misole, trempées d’eau, les cheveux simplement relevés. En voyant son mari rester, madame Josserand avait résolu de ne pas cacher Berthe davantage, ennuyée déjà de tout ce mystère, redoutant du reste, à chaque minute, de voir Auguste monter faire une scène.

— Comment ! tu déjeunes ! qu’y a-t-il donc ? dit le père très surpris, quand il aperçut sa fille, les yeux gros de sommeil, la gorge écrasée dans le peignoir trop étroit d’Hortense.

— Mon mari m’a écrit qu’il restait à Lyon, répondit-elle, et j’ai eu l’idée de passer la journée avec vous.

C’était un mensonge arrangé entre les deux sœurs. Madame Josserand, qui gardait sa raideur de sous-maîtresse, ne le démentit pas. Mais le père examinait Berthe, troublé, averti d’un malheur ; et, l’histoire lui semblant singulière, il allait demander comment le magasin marcherait sans elle, lorsqu’elle vint l’embrasser sur les deux joues, de son air gai et câlin d’autrefois.

— Bien vrai ? tu ne me caches rien ? murmura-t-il.

— Quelle idée ! pourquoi veux-tu que je te cache quelque chose ?

Madame Josserand se permit simplement de hausser les épaules. À quoi bon tant de précautions ? pour gagner une heure peut-être, ça ne valait pas la peine : il faudrait toujours que le père reçût le coup. Cependant, le déjeuner fut joyeux. M. Josserand, ravi de se retrouver entre ses deux filles, se croyait encore aux jours anciens, lorsqu’elles l’égayaient, à peine éveillées, avec leurs rêves de gamines. Elles gardaient pour lui leur bonne odeur de jeunesse, les coudes sur la table, trempant leurs tartines, riant la bouche pleine. Et tout le passé achevait de renaître, quand il voyait en face d’elles le visage rigide de leur mère, énorme et débor-