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POT-BOUILLE

lorsque, à les entendre, il sut que c’était sa fille, il y eut en lui un déchirement, une plaie ouverte, par où son reste de vie s’en allait. Mon Dieu ! il mourrait donc de son enfant ? Il serait puni de toutes ses faiblesses, en elle, qu’il n’avait pas su élever ? Déjà, l’idée qu’elle vivait endettée, continuellement aux prises avec son mari, lui gâtait sa vieillesse, le faisait revivre les tourments de sa propre existence. Et voilà, maintenant, qu’elle tombait à l’adultère, à ce dernier degré de vilenie pour une femme, qui révoltait son honnêteté simple de brave homme ! Muet, pris d’un grand froid, il écoutait la dispute des deux autres.

— Je vous avais bien dit qu’elle me tromperait ! criait Auguste d’un air de triomphe indigné.

— Et je vous ai répondu que vous faisiez tout pour ça ! déclarait victorieusement madame Josserand. Oh ! je ne donne pas raison à Berthe ; c’est idiot, sa machine ; et elle ne perdra pas pour attendre, je lui dirai ma façon de voir… Mais enfin, puisqu’elle n’est pas là, je puis le constater : vous seul êtes coupable.

— Comment ! coupable !

— Sans doute, mon cher. Vous ne savez pas prendre les femmes… Tenez ! un exemple. Est-ce que vous daignez seulement venir à mes mardis ? Non, vous restez au plus une demi-heure, et trois fois dans la saison. On a beau avoir toujours mal à la tête, on est poli… Oh ! bien sûr, ce n’est pas un grand crime ; n’importe, vous voilà jugé, vous manquez de savoir-vivre.

Sa voix sifflait d’une rancune lentement amassée ; car, en mariant sa fille, elle avait surtout compté sur son gendre pour meubler son salon. Et il n’amenait personne, il ne venait même pas : c’était la fin d’un de ses rêves, jamais elle ne lutterait contre les chœurs des Duveyrier.