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LES ROUGON-MACQUART

tenant, Auguste n’était pas autorisé à la traiter en maître ? Elle lui avait fourni une arme terrible. Même s’ils se remettaient ensemble, elle ne pourrait lui chercher la moindre dispute, sans recevoir immédiatement son paquet. Hein ? la jolie position ! comme elle prendrait de l’agrément, à plier l’échine toujours ! C’était fini, elle devait dire adieu aux petits bénéfices qu’elle aurait tirés d’un mari obéissant, des gentillesses et des égards. Non, plutôt vivre honnête, que de ne plus être la maîtresse de crier chez soi !

— Devant Dieu ! dit-elle, moi, je jure que je me serais retenue, même si l’empereur m’avait tourmentée !… On y perd trop.

Elle fit quelques pas en silence, parut réfléchir, puis ajouta :

— D’ailleurs, c’est la plus grande des hontes.

M. Josserand la regardait, regardait sa fille, remuant les lèvres sans parler ; et tout son être meurtri les conjurait de cesser cette explication cruelle. Mais Berthe, qui pliait devant les violences, restait blessée de la leçon de sa mère. À la fin, elle se révoltait, car elle avait l’inconscience de sa faute, dans son ancienne éducation de fille à marier.

— Dame ! dit-elle, en mettant carrément les coudes sur la table, il ne fallait pas me faire épouser un homme que je n’aimais pas… Maintenant, je le hais, j’en ai pris un autre.

Et elle continua. Toute l’histoire de son mariage revenait, dans ses phrases courtes, lâchées par lambeaux : les trois hivers de chasse à l’homme, les garçons de tous poils aux bras desquels on la jetait, les insuccès de cette offre de son corps, sur les trottoirs autorisés des salons bourgeois ; puis, ce que les mères enseignent aux filles sans fortune, tout un cours de prostitution décente et permise, les attouchements de