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POT-BOUILLE

déconsidérée. Au dessert, il s’endormit en racontant des histoires embrouillées de noceur gâteux, et il fallut le réveiller pour le mener dans la chambre de M. Josserand. Toute une mise en scène y était préparée, afin d’agir sur sa sensibilité de vieil ivrogne : devant le lit du père, se trouvaient deux fauteuils, l’un pour la mère, l’autre pour l’oncle. Berthe et Hortense se tiendraient debout. On verrait un peu si l’oncle oserait mentir une fois encore à ses promesses, en face d’un mourant, dans une chambre si triste, qu’une lampe fumeuse éclairait mal.

— Narcisse, dit madame Josserand, la situation est grave…

Et, d’une voix lente et solennelle, elle expliqua cette situation, le malheur regrettable de sa fille, la vénalité révoltante du mari, la résolution pénible où elle était de donner les cinquante mille francs, pour faire cesser le scandale qui couvrait la famille de honte. Puis, sévèrement :

— Souviens-toi de ce que tu as promis, Narcisse… Le soir du contrat, tu t’es encore frappé la poitrine, en jurant que Berthe pouvait compter sur le cœur de son oncle. Eh bien ! où est-il ce cœur ? le moment est venu de le montrer… Monsieur Josserand, joignez-vous à moi, indiquez-lui son devoir, si votre état de faiblesse vous le permet.

Malgré sa profonde répugnance, le père murmura, par tendresse pour sa fille :

— C’est la vérité, vous avez promis, Bachelard. Voyons, avant que je m’en aille, faites-moi donc le plaisir de vous conduire proprement.

Mais, Berthe et Hortense, dans l’espérance d’attendrir l’oncle, lui avaient versé trop souvent à boire. Il était dans un tel état, qu’on ne pouvait même plus abuser de lui.