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LES ROUGON-MACQUART

ture, car sa sœur Hortense elle-même, furieuse de ne plus coucher seule, ne prononçait pas une phrase, sans y glisser une allusion blessante. On en arrivait à lui reprocher ses repas. Quand on avait un mari quelque part, c’était drôle tout de même de rogner les plats de ses parents, déjà trop petits. Alors, la jeune femme, désespérée, sanglotait dans les coins, se traitant de lâche, ne se trouvant pas le courage de descendre se jeter aux pieds d’Auguste et de lui crier : « Tiens ! bats-moi, je ne puis pas être plus malheureuse ! » M. Josserand seul se montrait tendre pour sa fille. Mais il se mourait des fautes et des larmes de cette enfant, il agonisait des cruautés de la famille, en congé illimité, presque toujours au lit. Le docteur Juillerat qui le soignait, parlait d’une décomposition de sang : c’était une usure de l’être entier, où tous les organes se prenaient, les uns après les autres.

— Lorsque tu auras fait mourir ton père de chagrin, tu seras contente, n’est-ce pas ? criait la mère.

Et Berthe n’osait même plus entrer dans la chambre du malade. Dès que le père et la fille se voyaient, ils pleuraient tous les deux, ils se faisaient du mal.

Enfin, madame Josserand prit un grand parti : elle invita l’oncle Bachelard, résignée à s’humilier une fois encore. Elle aurait donné les cinquante mille francs de sa poche, si elle les avait eus, pour ne pas garder cette grande fille mariée, dont la présence déshonorait ses mardis. Puis, elle venait d’apprendre des choses monstrueuses sur l’oncle, et s’il n’était pas gentil, elle voulait lui dire une bonne fois sa façon de penser.

Bachelard, à table, se conduisit d’une façon particulièrement malpropre. Il était arrivé dans un état d’ivresse avancé ; car, depuis la perte de Fifi, il tombait aux écarts des grandes passions. Heureusement, madame Josserand n’avait invité personne, par crainte d’être