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POT-BOUILLE

où il abritait sa famille, lorsque des cris féroces, des mots abominables vinrent du fond de la cour.

— Grosse vache ! tu étais trop contente de m’avoir, pour faire sauver tes hommes !… Tu entends, sacré chameau ! je ne te l’envoie pas dire !

C’était Rachel, que Berthe renvoyait, et qui se soulageait dans l’escalier de service. Tout d’un coup, chez cette fille muette et respectueuse, dont les autres bonnes elles-mêmes ne pouvaient tirer la moindre indiscrétion, une débondade avait lieu, pareille à la débâcle d’un égout. Mise déjà hors d’elle-même par la rentrée de madame chez monsieur, qu’elle volait à l’aise depuis la séparation, elle était devenue terrible, quand elle avait reçu l’ordre de faire monter un commissionnaire pour enlever sa malle. Debout dans la cuisine, Berthe écoutait, bouleversée ; tandis que, sur la porte, Auguste, voulant faire acte d’autorité, recevait au visage les termes ignobles, les accusations atroces.

— Oui, oui, continuait la bonne enragée, tu ne me flanquais pas dehors, quand je cachais tes chemises, derrière le dos de ton cocu !… Et le soir où ton amant a dû remettre ses chaussettes au milieu de mes casseroles, pendant que j’empêchais ton cocu d’entrer, pour te donner le temps de te refroidir !… Salope, va !

Berthe, suffoquée, s’enfuit au fond de l’appartement. Mais Auguste devait tenir tête : il pâlissait, il était pris d’un tremblement, à chacune de ces révélations ordurières, criées dans un escalier ; et il ne trouvait qu’un mot : « Malheureuse ! malheureuse ! » pour exprimer son angoisse d’apprendre ainsi les détails crus de l’adultère, juste à l’heure où il venait de pardonner. Cependant, toutes les bonnes étaient sorties sur les paliers de leurs cuisines. Elles se penchaient, elles ne perdaient pas une parole ; mais elles-mêmes restaient saisies de la violence de Rachel. Une consternation, peu à peu, les