Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/478

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
478
LES ROUGON-MACQUART

de les traiter amèrement d’exploiteurs ; et elle se nourrissait plus mal encore, pour ne pas déchoir en quittant son appartement et en renonçant à ses mardis.

— C’est ça, dormez, dit-elle. Il nous reste du bœuf froid pour ce matin, et ce soir nous dînons dehors. Si vous ne pouvez pas descendre aider Julie, elle se passera de vous.

Le soir, le dîner fut cordial, chez les Duveyrier. Toute la famille se trouvait réunie, les deux ménages Vabre, madame Josserand, Hortense, Léon, même l’oncle Bachelard, qui se conduisit bien. En outre, on avait invité Trublot, pour boucher un trou, et madame Dambreville, pour ne pas la séparer de Léon. Celui-ci, après son mariage avec la nièce, était retombé aux bras de la tante, dont il avait encore besoin. On les voyait arriver ensemble dans tous les salons, et ils excusaient la jeune femme, qu’une grippe ou une paresse, disaient-ils, retenait chez elle. Ce soir-là, la table entière se plaignit de la connaître à peine : on l’aimait tant, elle était si belle ! Ensuite, on parla du chœur que Clotilde devait faire chanter à la fin de la soirée ; c’était encore la Bénédiction des Poignards, mais cette fois avec cinq ténors, quelque chose de complet, de magistral. Depuis deux mois, Duveyrier lui-même, redevenu charmant, racolait les amis de la maison, avec la même formule, répétée à chaque rencontre : « On ne vous voit plus, venez donc, ma femme reprend ses chœurs. » Aussi, à partir des entremets, ne causa-t-on plus que de musique. La plus heureuse bonhomie et la plus franche gaieté régnèrent jusqu’au champagne.

Puis, après le café, pendant que les dames restaient devant la cheminée du grand salon, il se forma, dans le petit, un groupe d’hommes qui se mirent à échanger des idées graves. Le monde arrivait, d’ailleurs. Bientôt il y eut là Campardon, l’abbé Mauduit, le docteur Juil-