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POT-BOUILLE

heures sonnaient, lorsque la conscience de sa position l’éveilla de nouveau. Le temps pressait, elle se leva péniblement, exécuta des choses qui lui venaient à mesure, sans qu’elle les eût arrêtées d’avance. Une lune froide éclairait en plein la chambre. Après s’être habillée, elle enveloppa l’enfant de vieux linge, puis le plia dans deux journaux. Il ne disait rien, son petit cœur battait pourtant. Comme elle avait oublié de regarder si c’était un garçon ou une fille, elle déplia les papiers. C’était une fille. Encore une malheureuse ! de la viande à cocher ou à valet de chambre, comme cette Louise, trouvée sous une porte ! Pas une bonne ne remuait encore, et elle put sortir, se faire tirer en bas le cordon par M. Gourd endormi, aller poser son paquet dans le passage Choiseul dont on ouvrait les grilles, puis remonter tranquillement. Elle n’avait rencontré personne. Enfin, une fois dans sa vie, la chance était pour elle !

Tout de suite, elle arrangea la chambre. Elle roula la toile cirée sous le lit, alla vider le pot, revint donner un coup d’éponge par terre. Et, exténuée, d’une blancheur de cire, le sang coulant toujours entre ses cuisses, elle se recoucha, après s’être tamponnée avec une serviette. Ce fut ainsi que madame Josserand la trouva, lorsqu’elle se décida à monter vers neuf heures, très surprise de ne pas la voir descendre. La bonne s’étant plainte d’une diarrhée affreuse qui l’avait épuisée toute la nuit, madame s’écria :

— Pardi ! vous aurez encore trop mangé ! Vous ne songez qu’à vous emplir.

Inquiète de sa pâleur, elle parla cependant de faire venir le médecin ; mais elle fut heureuse d’épargner les trois francs, quand la malade eut juré qu’elle avait uniquement besoin de repos. Depuis la mort de son mari, elle vivait, avec sa fille Hortense, d’une pension que les frères Bernheim lui faisaient, ce qui ne l’empêchait pas