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LES ROUGON-MACQUART

main à Octave. Celui-ci félicita Campardon qui, décoré de l’avant-veille, portait un large ruban rouge ; et l’architecte, radieux, le gronda de ne plus monter, de temps à autre, passer une heure avec sa femme : on avait beau être marié, ce n’était guère aimable d’oublier des amis de quinze ans. Mais le jeune homme restait surpris et inquiet devant Duveyrier. Il ne l’avait pas revu depuis sa guérison, il regardait avec un malaise sa mâchoire de travers, déviée à gauche, et qui maintenant faisait loucher son visage. Puis, quand le conseiller parla, ce fut un autre étonnement : sa voix avait baissé de deux tons, elle était devenue caverneuse.

— Vous ne trouvez pas qu’il est beaucoup mieux ? dit Trublot à Octave, en ramenant ce dernier près de la porte du grand salon. Positivement, ça lui donne une majesté. Je l’ai vu présider les assises, avant-hier… Et, tenez ! ils en causent.

En effet, ces messieurs passaient de la politique à la morale. Ils écoutaient Duveyrier donner des détails sur une affaire dans laquelle on avait beaucoup remarqué son attitude. On allait même le nommer président de chambre et officier de la Légion d’honneur. Il s’agissait d’un infanticide remontant déjà à plus d’un an. La mère dénaturée, une véritable sauvagesse, comme il le disait, se trouvait être précisément la piqueuse de bottines, son ancienne locataire, cette grande fille pâle et désolée, dont le ventre énorme indignait M. Gourd. Et stupide avec ça ! car, sans même s’aviser que ce ventre la dénoncerait, elle s’était mise à couper son enfant en deux, pour le garder ensuite au fond d’une caisse à chapeau. Naturellement, elle avait raconté aux jurés tout un roman ridicule, l’abandon d’un séducteur, la misère, la faim, une crise folle de désespoir devant le petit qu’elle ne pouvait nourrir : en un mot, ce qu’elles disaient toutes. Mais il fallait un exemple. Du-