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POT-BOUILLE

Cependant, on allait chanter la Bénédiction des Poignards. Le salon s’était empli, un flot de toilettes s’y pressait sous la lumière vive du lustre et des lampes, des rires couraient le long des files de chaises alignées ; et, dans ce brouhaha, Clotilde rudoya tout bas Auguste, qui, en voyant entrer Octave avec ces messieurs du chœur, venait de saisir le bras de Berthe, pour la forcer à se lever. Mais il faiblissait déjà, la tête prise entièrement par la migraine triomphante, de plus en plus embarrassé devant la muette désapprobation de ces dames. Les regards sévères de madame Dambreville le désespéraient, il n’avait pas même pour lui l’autre madame Campardon. Ce fut madame Josserand qui l’acheva. Elle intervint brusquement, elle le menaça de reprendre sa fille et de ne jamais lui donner les cinquante mille francs de la dot ; car elle promettait toujours cette dot avec carrure. Puis, se tournant vers l’oncle Bachelard, assis derrière elle, près de madame Juzeur, elle lui fit renouveler ses promesses. L’oncle mit la main sur son cœur : il savait son devoir, la famille avant tout. Auguste, battu, recula, alla de nouveau se réfugier dans l’embrasure de la fenêtre, où il appuya son front brûlant contre les vitres glacées.

Alors, Octave eut une singulière sensation de recommencement. C’était comme si les deux années vécues par lui, rue de Choiseul, venaient de se combler. Sa femme se trouvait là, qui lui souriait, et pourtant rien ne semblait s’être passé dans son existence : aujourd’hui répétait hier, il n’y avait ni arrêt ni dénouement. Trublot lui montra près de Berthe le nouvel associé, un petit blond très coquet, qui la comblait de cadeaux, disait-on. L’oncle Bachelard, tombé dans la poésie, se révélait sous un jour sentimental à madame Juzeur, qu’il attendrissait par des confidences intimes au sujet de