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LES ROUGON-MACQUART

Fifi et de Gueulin. Théophile, ravagé de doutes, le ventre plié par des quintes de toux, suppliait à l’écart le docteur Juillerat de donner quelque chose à sa femme, pour la faire tenir tranquille. Campardon, les yeux sur la cousine Gasparine, parlait de son diocèse d’Évreux, sautait aux grands travaux de la nouvelle rue du Dix-Décembre, défendait Dieu et l’art, en envoyant promener le monde, car il s’en fichait au fond, il était un artiste ! Et il y avait même, derrière une jardinière, le dos d’un monsieur, que toutes les filles à marier contemplaient d’un air de curiosité profonde : c’était le dos de Verdier, qui causait avec Hortense, tous deux enfoncés dans une explication aigre, reculant de nouveau le mariage au printemps, pour ne pas mettre la femme et l’enfant à la rue, en plein hiver.

Puis, ce fut le chœur qui recommença. L’architecte, la bouche arrondie, lançait le premier vers. Clotilde plaqua un accord, jeta son cri. Et les voix éclatèrent, le vacarme s’enfla peu à peu, s’épanouit avec une violence qui effarait les bougies et pâlissait les dames. Trublot, jugé insuffisant dans les basses, était essayé une seconde fois comme baryton. Les cinq ténors furent du reste très remarqués, Octave surtout, auquel Clotilde regrettait de ne pouvoir confier un solo. Quand les voix tombèrent, et qu’elle eut mis la sourdine, faisant sonner les pas cadencés et perdus d’une patrouille qui s’éloigne, on applaudit beaucoup, on la combla d’éloges, ainsi que ces messieurs. Et, au fond de la pièce voisine, derrière un triple rang d’habits noirs, on voyait Duveyrier serrer les dents pour ne pas aboyer d’angoisse, avec sa mâchoire de travers, dont les boutons irrités saignaient.

Le thé, ensuite, déroula le même défilé, promena les mêmes tasses et les mêmes sandwichs. Un moment, l’abbé Mauduit se retrouva seul, au milieu du salon désert. Il regardait, par la porte grande ouverte,