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POT-BOUILLE

— À votre santé, mes petites chattes ! répondait-il chaque fois, de sa grosse voix pâteuse, en vidant son verre.

Couvert de bijoux, une rose à la boutonnière, il tenait le milieu de la table, énorme, avec sa carrure de commerçant noceur et braillard, qui a roulé dans tous les vices. Ses dents fausses éclairaient d’une blancheur trop crue sa face ravagée, dont le grand nez rouge flambait sous la calotte neigeuse de ses cheveux coupés ras ; et, par moments, ses paupières retombaient d’elles-mêmes sur ses yeux pâles et brouillés. Gueulin, le fils d’une sœur de sa femme, affirmait que l’oncle n’avait pas dessoûlé, depuis dix ans qu’il était veuf.

— Narcisse, un peu de raie, elle est excellente, dit madame Josserand, qui souriait à l’ivresse de son frère, bien qu’elle en eût au fond le cœur soulevé.

Elle était assise en face de lui, ayant à sa gauche le petit Gueulin, et à sa droite un jeune homme, Hector Trublot, auquel elle avait des politesses à rendre. D’habitude, elle profitait de ce dîner de famille, pour se débarrasser de certaines invitations ; et c’était ainsi qu’une dame de la maison, madame Juzeur, se trouvait également là, près de M. Josserand. Du reste, comme l’oncle se conduisait très mal à table, et qu’il fallait compter sur sa fortune pour l’y supporter sans dégoût, elle le montrait seulement à des intimes ou à des personnes qu’elle jugeait inutile d’éblouir désormais. Par exemple, elle avait un instant songé pour gendre au jeune Trublot, alors employé chez un agent de change, en attendant que son père, un homme riche, lui achetât une part ; mais, Trublot ayant professé une haine tranquille du mariage, elle ne se gênait plus avec lui, elle le mettait même à côté de Saturnin, qui n’avait jamais pu manger proprement. Berthe, toujours