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LES ROUGON-MACQUART

placée près de son frère, était chargée de le contenir d’un regard, lorsqu’il promenait par trop ses doigts dans la sauce.

Après le poisson, une tourte grasse parut, et ces demoiselles crurent le moment arrivé de commencer l’attaque.

— Buvez donc, mon oncle ! dit Hortense. C’est votre fête… Vous ne donnez rien pour votre fête ?

— Tiens ! c’est vrai, ajouta Berthe d’un air naïf. On donne quelque chose, le jour de sa fête… Vous allez nous donner vingt francs.

Du coup, en entendant parler d’argent, Bachelard exagéra son ivresse. C’était sa malice accoutumée : ses paupières retombaient, il devenait idiot.

— Hein ? quoi ? bégaya-t-il.

— Vingt francs, vous savez bien ce que c’est que vingt francs, ne faites pas la bête, reprit Berthe. Donnez-nous vingt francs, et nous vous aimerons, oh ! nous vous aimerons tout plein !

Elles s’étaient jetées à son cou, lui prodiguaient des noms de tendresse, baisaient son visage enflammé, sans répugnance pour l’odeur de débauche canaille qu’il exhalait. M. Josserand, que troublait ce continuel fumet d’absinthe, de tabac et de musc, eut une révolte, lorsqu’il vit les grâces vierges de ses filles se frotter à ces hontes ramassées sur tous les trottoirs.

— Laissez-le donc ! cria-t-il.

— Pourquoi ? dit madame Josserand, qui lança un terrible regard à son mari. Elles s’amusent… Si Narcisse veut leur donner vingt francs, il est bien le maître.

— Monsieur Bachelard est si bon pour elles ! murmura complaisamment la petite madame Juzeur.

Mais l’oncle se débattait, redoublant de ramollissement, répétant, la bouche pleine de salive :