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POT-BOUILLE

ne songiez pas à lui pour votre Berthe. Un garçon établi, plein de prudence. Et il lui faut une femme, je sais qu’il cherche à se marier.

Madame Josserand écoutait, surprise. En effet, elle n’aurait pas songé au marchand de nouveautés. Cependant, madame Juzeur insistait, car elle avait, dans son infortune, la passion de travailler à la félicité des autres femmes, ce qui la faisait s’occuper de toutes les histoires tendres de la maison. Elle affirmait qu’Auguste ne cessait de regarder Berthe. Enfin, elle invoquait son expérience des hommes : jamais M. Mouret ne se laisserait prendre, tandis que ce bon M. Vabre serait très commode, très avantageux. Mais madame Josserand, pesant ce dernier du regard, jugeait décidément qu’un gendre pareil ne meublerait guère son salon.

— Ma fille le déteste, dit-elle, et jamais je n’agirai contre son cœur.

Une grande demoiselle maigre venait d’exécuter une fantaisie sur la Dame Blanche. Comme l’oncle Bachelard s’était endormi dans la salle à manger, Gueulin reparut avec sa flûte et imita le rossignol. D’ailleurs, on n’écoutait pas, l’histoire de Bonnaud s’était répandue. M. Josserand restait bouleversé, les pères levaient les bras, les mères suffoquaient. Comment ! le gendre de Bonnaud était un clown ! À qui se fier alors ? et les parents, dans leur appétit de mariage, avaient des cauchemars de forçats distingués, en habit noir. Bonnaud, à la vérité, éprouvait une telle joie de caser sa fille, qu’il s’était contenté de renseignements en l’air, malgré sa rigide prudence de chef comptable méticuleux.

— Maman, le thé est servi, dit Berthe, qui ouvrait avec Adèle les deux battants de la porte.

Et, pendant que le monde passait lentement dans la salle à manger, elle s’approcha de sa mère, elle murmura :