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POT-BOUILLE

sur son visage. Le jeune homme songeait maintenant que ce n’était pas drôle, avec une femme sans défense, au fond de cette solitude et de cette bêtise. Elle n’avait pas même eu de plaisir.

— Tiens ! le livre qui est tombé par terre ! reprit-elle en le ramassant.

Mais un coin de la reliure s’était cassé. Cela les rapprocha, ce fut un soulagement. La parole leur revenait. Marie se montrait désolée.

— Ce n’est pas ma faute… Vous voyez, je l’avais enveloppé de papier, de peur de le salir… Nous l’avons poussé, sans le faire exprès.

— Il était donc là ? dit Octave. Je ne l’ai pas remarqué… Oh ! pour moi, je m’en fiche ! Mais Campardon tient tant à ses livres !

Tous deux se le passaient, tâchaient de redresser le coin. Leurs doigts se mêlaient, sans un frisson. En réfléchissant aux suites, ils restaient vraiment consternés du malheur arrivé à ce beau volume de George Sand.

— Ça devait mal finir, conclut Marie, les larmes aux yeux.

Octave fut obligé de la consoler. Il inventerait une histoire, Campardon ne le mangerait pas. Et leur embarras recommença, au moment de la séparation. Ils auraient voulu se dire au moins une phrase aimable ; mais le tutoiement s’étranglait dans leur gorge. Heureusement, un pas se fit entendre, c’était le mari qui montait. Octave, silencieux, la reprit et la baisa à son tour sur la bouche. Elle se soumit de nouveau, complaisante, les lèvres glacées comme auparavant. Lorsqu’il fut rentré sans bruit dans sa chambre, il se dit, en ôtant son paletot, que celle-là non plus n’avait pas l’air d’aimer ça. Alors, que demandait-elle ? et pourquoi tombait-elle aux bras du monde ? Décidément, les femmes étaient bien drôles.