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Page:Ernest Cœurderoy - Hurrah !!!.djvu/191

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Tout ce qui est en dehors de Nicolas, des Cosaques et du tchinn civil ou militaire n’est rien en Russie. Le commerce, qu’on regarde comme une occupation dégradante, est laissé aux étrangers et à une bourgeoisie pauvre qui cherche à se rendre imperceptible. L’industrie est à l’état d’enfance, les arts sont le moyen de vivre de quelques pauvres diables ; la littérature sert de passe-temps aux grands quand ils ne peuvent obtenir la permission de voyager. La poésie, l’art véritable de la Russie, sont dans l’âme du peuple ; ils sont célébrés par les Slaves des steppes. L’aristocratie, malgré la teinte de civilisation occidentale qu’elle prend dans ses voyages, est forcée de s’harmoniser, en apparence, avec les mœurs du peuple au milieu duquel elle vit[1].

Et se figure-t-on bien ce que les mugics à la barbe vierge feront de tous les bourgeois d’Occident quand ils seront déchaînés sur eux ? Se figure-t-on ce qu’ils feront de notre art et de notre littérature mercantiles ? Qui pourrait deviner la portée de la révolution qu’ils opéreront parmi nous ? Gens d'Occident, vous lisez lien des livres sur la Russie, vous faites bien des vaudevilles avec les Cosaques. Mais vous n’en savez guère autre chose : vous ne pouvez pas comprendre le génie de l’homme du Nord, parce que vous êtes déchus de la liberté sainte. Le serf est plus libre que le bourgeois, vous dis-je ! L’homme qui reçoit le knout n’est atteint qu’à la surface de son corps ; celui qui se prostitue au trafic est maculé dans les profondeurs de son âme. Le civilisé se vend volontairement au dernier enchérisseur : le Cosaque n’a pas même le choix entre la liberté et l’esclavage : il est né serf, et serf il doit mourir. D’ailleurs, le servage n’est pas slave : il est d’origine orientale et vient des Tartares. Boris Go-

  1. Cette opinion m’a été faite par la lecture du livre de M. de Tourgueneff.