Page:Ernest Cœurderoy - Hurrah !!!.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ture. Nous nous contentons d’un bien-être tellement restreint qu’il ne nous procure aucune des jouissances de la vie, tellement précaire qu’il est à la merci d’une modification de gouvernement. Nous avons si peu de foi dans l’avenir, notre destinée nous semble si fatalement malheureuse, si éternellement sans issue, que nous ne cherchons pas même à améliorer notre situation désespérée, que nous nous y cramponnons avec fureur, pareils au submergé qui tremble de briser le brin d’herbe qui le retient encore à la vie. Nous avons tellement altéré notre constitution originelle, tellement usé les ressorts de notre organisation, tellement inoculé la souffrance dans tous les actes de notre vie, que la moindre secousse nous met en danger de mort, que nous croyons le bonheur impossible, que nous en avons peur. Nous, jeunes gens, désolés, mornes, nous suivons tristement le tourbillon de cette société de damnés ; nous nous avouons vaincus par le nombre ; nous nous laissons broyer dans l’engrenage infâme : nous volons pour n’être pas volés. La Civilisation est un immense sauve-qui-peut de filous en débine.... — Au contraire, les Russes ne peuvent pas être plus mal : leur existence n’est même pas garantie par les lois du présent : ils vivent sous l’empire de règlements qui dépendent de la volonté d’un seul homme, et ces règlements ont force de lois, mais non pas d’institutions : la surface est souillée, mais les profondeurs sont y sont vierges[1]. Le Recueil des lois de l’empire russe est une indigeste compilation d’articles, de mesures et de dispositions contradictoires : c’est le nec plus ultrà de l’arbitraire et du grotesque. L’homme principe de l’autocratie tombant, l’édifice qu’il a si pompeusement élevé croule sur lui : morte la bête, mort est le venin.

  1. Voltaire, observateur superficiel, en sa qualité de Français, s’est trompé de tout en écrivant cette balourdise tant prisée par la gent chauvine : Les Russes sont pourris avant que d’être mûrs.