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Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/15

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LES ORIGINES, L’ENFANCE ET L’ADOLESCENCE

remment avec Delille, pour le plus grand poète français. Son arrière-petit-neveu n’en faisait pas grand cas, du moins vers le milieu de sa vie on en comprendra les raisons, si on compare seulement l’histoire d’Hylas, telle qu’elle est contée dans La Journée Champêtre, avec l’Hylas des Poèmes Antiques. Mais si, vers 1835, Parny, en France, était déjà bien oublié, à Bourbon il faisait encore figure, et l’on ne manquait pas, dans la famille Leconte de Lisle, de tirer vanité d’une parenté aussi illustre. Notre adolescent avait lu, d’assez bonne heure, quelques-unes au moins de ses œuvres. Sur le cahier où, vers seize ou dix-sept ans, il copiait ses morceaux favoris, on lit des vers de Parny et, au-dessous, une pièce d’un obscur auteur de cette époque qui déplorait ta mort du grand homme. Parny et aussi Baour-Lormian, voilà ce que Leconte de Lisle trouva sur les rayons des bibliothèques créoles ce sont eux qui avaient charmé les générations du premier Empire ; c’est par eux qu’il fut initié aux règles du langage poétique. Il découvrit, sans doute assez vite, les Méditations. Quelqu’un lui mit entre les mains Les Orientales. Il en fut enthousiasmé. « Ces beaux vers, écrivait-il bien des années plus tard — c’est dans son discours de réception à l’Académie française, où il entra, comme on sait, à soixante-huit ans — ces beaux vers, si nouveaux et si éclatants, furent pour toute une génération prochaine une révélation de la vraie Poésie. Je ne puis me rappeler, pour ma part, sans un profond sentiment de reconnaissance, l’impression soudaine que je ressentis, tout jeune encore, quand ce livre me fut donné autrefois sur les montagnes de mon île natale, quand j’eus cette vision d’un monde plein de lumière, quand j’admirai cette richesse d’images si neuves et si hardies, ce mouvement lyrique irrésistible, cette langue précise et sonore. Ce fut comme une immense et brusque clarté illuminant la mer, les montagnes, les bois, la nature de mon pays, dont jusqu’alors je n’avais entrevu la beauté et le charme étrange que dans les sensations confuses et inconscientes de l’enfance. Il n’est pas douteux, et nous aurons l’occasion d’y revenir, que Les Orientales, particulièrement les grandes compositions aux couleurs contrastées et violentes, Les Têtes du Sérail, La Ville Prise, Le Feu du