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Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/16

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LECONTE DE LISLE

Ciel, n’aient exercé sur l’art de Leconte de Lisle, tel qu’il se révèle surtout dans les Poèmes Barbares, une profonde influence. Mais, à dix-sept ans, il n’en a pas compris encore ni l’originale et étrange beauté, ni le rapport secret avec son propre génie. Il suit le goût du temps et le penchant de son âge il donne dans l’élégiaque et le sentimental. Sur le cahier où il transcrit ses vers favoris, il copie, des Orientales, Grenade et L’Enfant Grec, où le pittoresque domine, mais aussi Fantômes, qui est un morceau de pur sentiment, pêle-mêle avec quelques pièces des Feuilles d’automne, le Désespoir de Lamartine, son appel au peuple de 1830 Contre la Peine de Mort, et une poésie d’un auteur inconnu, Les Deux Muses (la Muse classique et la Muse romantique), à la fin de laquelle il écrit naïvement : « Sublime ! » Son admiration se trompe quelquefois d’objet. Même après plusieurs mois de séjour en France, il mettra encore sur le même pied Rességuier et Victor Hugo, Alfred de Vigny et Mme Tastu. Son excuse, c’est que beaucoup de gens qui auraient dû être plus éclairés que lui en faisaient autant. Pouvait-on exiger d’un « jeune sauvage » plus de discernement et de flair que des connaisseurs parisiens ?

Les premiers vers que nous possédions de Leconte de Lisle trahissent les mêmes tendances et la même évolution rapide. C’est un cahier intitulé Essais poétiques de Ch. Leconte de Lisle. Il contient une douzaine de pièces, accompagnées d’un envoi daté de novembre 1836. Les unes paraissent antérieures, les autres postérieures à cette date. De « ces premiers accents que son âme soupire », certains doivent remonter à la dix-septième ou même à la seizième année. Balbutiements touchants, mais balbutiements, et qui sentent encore l’enfance. La syntaxe en est incorrecte et la langue incertaine ; les tours d’un français suranné et le zézaiement du langage créole s’y mêlent à des expressions alors insolites, empruntées aux poètes nouveaux. Ils ont la grâce indécise de l’adolescence, avec une pointe à la fois de langueur et d’enfantillage qui trahit l’origine exotique.

Qui, toi, pauvre créole,
Veux-tu chanter aussi ?…
Une douce parole
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Comme un éclair a lui.
Et de la poésie
Une lueur d’espoir.
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