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Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/172

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LECONTE DE LISLE

gueil, vanité et présomption. Et le critique prend acte de leur impuissance pour proclamer la dégénérescence de l’art moderne et recommander à ses contemporains d’aller chercher leurs modèles dans le passé.


Cette douloureuse expérience nous confirme dans la conviction pénible, maisirrévocable, que l’inspiration n’existe plus, et que nos pères ont emporté dans la tombe tous les secrets du génie. Il ne nous reste plus que l’étude laborieuse et l’examen austère et persévérant des moyens par lesquels ils ont revêtu de formes irréprochables les créations de leur intelligence féconde. Travaillez donc, ô artistes travaillez sans relâche et, au lieu de tourmenter inutilement vos imaginations dérégléespour leur faire produire des monstres, appliquez-vous à encadrer, du moins, dans des lignes pures et régulières, les types éternels de beauté qu’il n’appartient pas aux générations de changer. Depuis Homère, toute tentative d’invention n’a servi qu’à signaler le progrès incessant et fatal d’une décadence inévitable. Ô vous qui voulez manier le sistre et la lyre, étudiez le rythme et renfermez-vous dans le style. Le style est tout, et l’invention n’est rien, parce qu’il n’y a plus d’invention possible.


Cette tirade est, dans la pensée de George Sand, fortement teintée d’ironie. Autant que des mauvais artistes elle se raille du critique, envieux par nature, impuissant par définition, inutile par surcroît, bon tout au plus à « tracer des épitaphes sur des tombes », à faire « un métier de croque-mort ». Mais les paradoxes qu’elle lui fait débiter sont tombés dans l’esprit de Leconte de Lisle, on le verra, comme des germes de vérité.

Enfin, dans un tableau qui est un des plus saisissants du drame — sinon, après la Notre-Dame de Victor Hugo et le Paris d’Alfred de Vigny, un des plus originaux — Hélène, suivie d’Albertus, monte sur la cathédrale ; elle s’élève jusqu’au sommet de la flèche qui la domine, et de là, suspendue pour ainsi dire dans les airs, elle embrasse du regard tout l’empire de l’homme. L’Esprit de la Lyre lui fait admirer les merveilles conçues et exécutées par la race industrieuse : temples majestueux, coupoles resplendissantes, arcs de triomphe, musées, théâtres, ports encombrés de navires, chemins aux rails de fer qui transportent des populations entières.

Et maintenant, lui dit-il, écoute ! Ces myriades d’harmonies terribles nu sublimes qui se confondent en un seul rugissement plus puissant mille fois que celui de la tempête, c’est la voix de l’industrie, le bruit des machines, le sifflement de la vapeur, le choc des marteaux, le roulement des tambours,