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Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/173

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LES IDÉES LITTÉRAIRES

les fanfares des phalangesguerrières, la déclamation des orateurs, les mélodies des mille instruments divers, les cris de la joie, de la guerre et du travail, l’hymne du triomphe et de la force. Écoute, et réjouis-toi ; car ce monde est riche, et cette race ingénieuse est puissante !


Mais Hélène se refuse à admirer et à se réjouir. Elle n’a devant les yeux « qu’une masse de fange labourée par des fleuves de sang » ; elle ne voit que souffrance, injustice, oppression, misère, tortures ; elle n’entend que des sanglots et des cris de douleur. De toutes les forces de son âme, elle nie la poésie de la civilisation, la beauté de l’industrie il n’y a là pour elle que des objets d’horreur.

III

Religion de l’art, poussée jusqu’au « fanatisme » — le mot est dans Les Sept Cordes de la Lyre — horreur de la civilisation industrielle, retour aux formes de beauté réalisées par l’humanité primitive, ce sont les idées maîtresses que nous retrouvons dans les deux préfaces écrites par Leconte de Lisle en 1852 pour les Poèmes Antiques, en 1855 pour les Poèmes et Poésies, et qui, se continuant et se complétant l’une l’autre, forment à elles deux comme son manifeste littéraire. Au début de la première, il définit nettement le caractère original de l’ouvrage qu’il présente au public.


Ce livre est un recueil d’études, un retour réfléchi a des formes négligées ou peu connues. Les émotions personnelles n’y ont laissé que peu de traces les passions et les faits contemporains n’y apparaissent point. Bien que l’art puisse donner, dans une certaine mesure, un caractère de généralité à tout ce qu’il touche, il y a dans l’aveu public des angoisses du cœur et de ses voluptés non moins amères une vanité et une profanation gratuites. D’autre part, quelque vivantes que soient les passions poétiques de ce temps, elles appartiennent au monde de l’action le travail spécutatif leur est étranger. Ceci explique l’impersonnalité et la neutratité de ces études.


L’auteur ne se dissimule pas les critiques auxquelles son œuvre est exposée. On reprochera aux Poèmes Antiques, il le sait d’avance, leur archaïsme et leurs allures érudites. Mais, persuadé que ces objections tomberont d’elles-mêmes, une fois admise