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Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/178

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blant de vieillesse. Ô fils, après un long temps, après beaucoup de jours, je vois ton visage ! Presse entre tes bras la poitrine de ta mère, donne tes joues que je les embrasse, couvre mon cou des boucles de tes cheveux noirs ! Oh ! oh ! te voilà enfin, contre toute espérance et toute attente, dans les bras de ta mère ! Que te dirai-je ? Ô fils, ô mon fils, comment, par mes mains, par mes paroles, par ma joie multipliée qui t’enveloppe, prouverai-je le ravissement de mon ancien bonheur ? Ô fils, ô mon fils, combien regretté de tes amis, combien regretté de Thèba, tu as quitté la maison paternelle, envoyé en exil par l’injure d’un frère ! C’est pour cela qu’en pleurant je coupe mes cheveux blancs dénoués en signe de deuil, et que, non plus vêtue de vêtements blancs, ô fils, je me couvre de ces noirs péplos ! Et le vieillard aveuglé, au fond de la demeure, versant toujours des larmes de regret sur le couple disjoint, se jette sur l’épée pour se tuer de sa propre main, court au toit pour se pendre au lacet, déplorant les imprécations jetées contre ses enfants, et, se lamentant et gémissant, se cache toujours dans les ténèbres. Mais toi, ô fils, j’apprends qu’uni par le mariage à une étrangère, tu goûteras la joie des enfants dans une alliance étrangère : lamentables noces pour ta mère et pour la race de Laios ! Et moi, je n’ai point allumé pour toi la lumière des noces, comme il convient à une heureuse mère ! L’Ismènos n’a point donné ses eaux pour célébrer les bains hyménaiens, et l’entrée de l’épouse n’a point été chantée à travers la ville de Thèba ! Que tout ceci périsse, quelle qu’en soit la cause, ou le fer, ou la discorde, ou ton père, ou le Daimôn qui a envahi outrageusement la demeure d’Oidipous, car le poids douloureux de ces malheurs est tombé sur moi !