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Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/106

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Étrange changement ! Au moment où Firmin s’était épris de Madeleine, il n’ignorait pas qu’elle fût l’enfant d’un mulâtre, et la passion qui le dévorait avait reculé cependant devant l’honneur d’une fille appartenant à une classe dont les hommes de sa caste faisaient bon marché, en ce temps-là surtout ! En face du mystère qu’il venait de découvrir, il éprouva au fond du cœur une sorte de répulsion et pour Jérémie et pour Madeleine elle-même.

Il faut le dire, Firmin avait entendu la déchéance d’une famille blanche, de la bouche même de l’auteur de cet opprobre. L’honneur de la société coloniale venait de naufrager sous ses yeux.

En aimant noblement Madeleine, fille d’un mulâtre et d’une blanche européenne de basse naissance, en nourrissant au fond de son cœur la pensée de ne la vouloir posséder que par le mariage, il ne froissait qu’un préjugé. Désormais, c’était une sanction qu’il allait donner à l’opprobre dont la société coloniale avait été frappée dans un de ses membres.

Tel était le sentiment qui dominait Firmin en ce moment. Nous ne savons si nos lecteurs saisiront bien parfaitement la nuance, imperceptible pour eux, monstrueuse pour les habitants d’outre-mer, entre ces deux origines de Madeleine ; pour M. de Lansac, si robuste d’abord contre un préjugé, c’était la fin d’un rêve adoré.

L’impression qu’éprouvait le jeune créole n’échappa point à Jérémie, qui comprit sa situation, il ne songea pas à blâmer dans sa conscience le retour défavorable qui se produisit dans l’esprit de Firmin. Le mulâtre cacha son front entre ses deux mains, et murmura d’une voix étranglée ces mots :

— Pauvre Madeleine !

Jérémie et le créole restèrent silencieux pendant un long moment.