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Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/107

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La première crise passée, Firmin entendit au fond de son cœur comme un concert de reproches. L’image de Madeleine flottait aussi devant ses yeux dans toute sa grâce et dans toute sa pureté. Il interrogea sa conscience, il la trouva moins raidie ; le feu de la passion, peu à peu rallumé, l’avait ramollie et rendue plus accessible aux tendres émotions. Une lutte violente s’engagea entre les divers sentiments qui l’agitaient, car il pâlit tout à coup, comme s’il allait mourir, et porta la main à son front inondé d’une sueur froide.

— Jérémie, dit-il avec calme, racontez-moi comment ce malheur est arrivé.

Jérémie tourna vers Firmin son visage décomposé. Le blanc de ses yeux, un peu jaune naturellement, comme c’est de rigueur chez tous les gens de sa race, avait en ce moment une teinte tout à fait bilieuse, et s’était injecté de sang.

— C’est un bien grand malheur, en effet, Monsieur, répondit le mulâtre, je m’en aperçois aujourd’hui. Le souvenir s’en était assoupi au fond de mon cœur ; en s’éveillant, il a fait comme le serpent qu’on arrache à son sommeil, il m’a mordu et déchiré. Vous avez vu, Monsieur, combien j’aimais Madeleine, avec qu’elle sollicitude je veillais à son honneur. C’est en l’entourant de cet amour profond que je parvins à oublier qu’elle était l’enfant d’un crime…

— D’un crime ? répéta Firmin.

— Oui, Monsieur, car cette lugubre histoire se résume en ces mots : « Un crime et une vengeance ! » Oh ! ne me demandez pas tous les détails, toutes les péripéties, surtout le prologue de ce drame… Insulté par le marquis de Jansseigne, qui refusa de m’en rendre raison, parce qu’un blanc ne se bat jamais avec un mulâtre, me dit-il, poussé à la rage, je résolus de me venger, et je me vengeai