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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/255

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LES HABITS NOIRS

Justin appuya ses deux mains sur le carreau et se releva ainsi à demi.

Une flamme brilla dans ses yeux, puis s’éteignit, mais il prononça d’une voix distincte :

— Parle haut et clair. Je ne suis mort qu’à moitié : j’écoute.


XVI

Justin s’éveille tout à fait


La figure du bon Médor exprimait le contentement et l’espoir.

— C’est vrai que vous n’êtes mort qu’à moitié, papa, dit-il, et encore parce que vous le voulez bien. Si on pouvait vous éveiller une bonne fois, tout irait sur des roulettes.

— J’écoute, répéta Justin gravement.

— Ah ! ah ! s’écria Médor, j’en ai long à vous dérouler. Je n’ai jamais jeté le manche après la cognée, moi ; pendant que vous dormiez je cherchais. Voilà quatorze ans que je cherche sans m’arrêter. Je ne vous ai rien dit depuis tout ce temps, parce que ça n’aurait pas servi. Vous ne vouliez pas, quoi ! mais aujourd’hui vous allez marcher, c’est mon idée. Il n’y a plus à reculer. D’abord et pour commencer, cet homme-là a dû être pour quelque chose dans le vol de l’enfant. Je me souviens. Je vois encore sa figure, et ça m’est toujours resté qu’il aurait pu arrêter la voleuse.

— De qui parles-tu ? demanda Justin qui depuis bien des années n’avait pas eu ce regard lucide.

— Je parle du mari de la Gloriette, répondit Médor.

Les yeux de Justin se baissèrent.

— Qui est cet homme ? demanda-t-il encore.

— Un grand seigneur étranger, monsieur le duc de Chaves.

— Ah ! fit Justin, un duc !

— Un vrai duc ! et c’était à lui la voiture qui emmena madame Lily, le jour où vous revîntes à Paris.

— Pour trouver la chambre vide, pensa tout haut Justin. Ma mère avait dit : « J’en mourrai. »

— Ce n’est pas tout, reprit Médor.

— J’ai froid, interrompit le chiffonnier, aide-moi à me remettre sur ma paille. Ma mère en est morte.

— À votre service, répondit Médor qui lui tendit aussitôt les deux mains ; mais n’allez pas vous rendormir, savez-vous !

Justin, avec le secours de son compagnon, parvint à regagner sa couche. Il ne s’y étendit point ; il s’accroupit sur la paille, le menton dans les genoux, et dit d’un accent résolu :

— Non, non, je ne m’endormirai pas.

Médor prit auprès de lui une posture pareille.

— On va causer comme des amis, dit-il ; ça va bien, pourvu que je puisse défiler mon rouleau. De parler, ça n’est pas mon fort, et pourtant