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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/30

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L’AVALEUR DE SABRES

allaient où ils voulaient en un désordre charmant et lui faisaient une coiffure que nulle ne pourrait acheter, fût-ce au prix d’un trône.

Elle avait bien quelque pâleur aux joues, mais vous l’en eussiez mieux aimée, tant cette pâleur, délicate et douce, se mariait heureusement aux lumières de sa chevelure et à cette profonde étincelle qui jaillissait de ses grands yeux noirs.

Lily était belle, bien plus qu’autrefois ; plus belle même que Petite-Reine n’était jolie. Un peintre connaisseur vous eût dit qu’elle devait devenir encore plus belle.

Mais je ne sais comment exprimer cela. Ce n’était point son exquise beauté qui frappait le cœur ni le regard, c’était sa gentillesse de jeune mère, active à la besogne. En elle la mère emportait tout. Les grâces enchantées de sa taille, la splendeur de ses traits n’étaient en une sorte que des charmes accessoires auprès de la séduction attendrie qui s’épandait autour de son travail.

Elle allait, elle venait, leste comme un oiseau, et gaie, et commençant un doux chant, interrompu par une distraction maternelle.

C’était une petite chemise, raide de savon, qu’il fallait retourner sur la corde où elle séchait, le manteau à brosser, le chapeau dont la plume coquette demandait un coup de doigt, puis les brillantes bottines, mignonnes comme des jouets — puis un regard au berceau, et après chaque regard, vous pensez, l’irrésistible besoin d’un baiser, puis, que sais-je ?

Le soleil reluisait si joyeusement ! On s’accoudait une minute à la fenêtre… Psst ! La laitière ! Et le déjeuner de Petite-Reine ! Paresseuse !

La laitière, figurez-vous cela, montait chaque matin les trois étages pour quatre sous, ou plutôt pour madame Lily et pour la petite.

En bas, la laitière avait la voix rauque et mettait je ne sais quoi dans ses pots de fer-blanc ; mais en haut, elle apportait de la vraie crème, et sa voix changeait.

Y avait-il quelque chose d’assez bon, d’assez doux pour ces deux chères créatures ! Tout le quartier était comme la laitière. On les aimait, on les respectait.

— Madame Hureau, dit la Gloriette quand la paysanne entra, vous nous trompez, je m’aperçois bien de cela : vous faites trop bonne mesure.

Madame Hureau était déjà à regarder Petite-Reine dans son berceau.

Elle rabattit la corne de son tablier et l’enfant s’éveilla, inondée de lilas tout frais, tout mouillés, de bons gros lilas de campagne, qui réjouissent l’œil, protégés par de robustes feuillées.

Les lilas de Paris sont chauves.

Le réveil de l’enfant fut un cri d’allégresse. Tant de fleurs ! tant de feuilles ! et toute la chambre embaumée !

La paysanne se sauva, riant de sa niche et la larme à l’œil.

Sur le réchaud, près de la porte, il y eut un petit poêlon d’argent. J’ai dit d’argent : c’était pour l’adorée. Le lait chauffa pendant que la mère et la fille jouaient avec les lilas. On s’embrassait à travers les feuillages humides qui secouaient leurs perles sur ces fronts d’anges.

— Mère, le lait monte !

Et le gros bouquet presque achevé fut jeté à la diable pour sauver le lait.