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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/547

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que cette tendresse ne s’éteindrait jamais ; me suis-je donc trompée ?…

» Je vois mon père tous les soirs, il est bon pour moi et je crois qu’il m’aime ; je le respecte du plus profond de mon cœur.

» J’ai un frère qui m’a regardée, lors de mon arrivée, au travers d’un lorgnon ; il me baise la main comme à une étrangère, et me dit que je suis jolie. Je ne sais pas s’il m’aime.

» J’ai deux sœurs. Si vous saviez comme elles sont belles, Otto ! On m’a menée une fois au bal, et je les ai vues entourées d’hommages. Tout le monde est à leurs pieds ; quand elles ont les épaules nues et le front couvert de diamants, moi-même je ne puis pas les regarder sans être éblouie.

» Mon père, mon frère et mes deux sœurs sont juifs ; on n’a mis jusqu’à présent nul obstacle à l’accomplissement de mes devoirs de chrétienne ; mais cette différence de culte chagrine mon vieux père ; deux ou trois fois, il m’en a fait de doux reproches, et je ne savais que lui répondre…

» Mon frère et ma sœur cadette ne s’occupent point de cela.

» Quant à ma sœur aînée, elle rit et se moque quand on parle de religion.

» Je suis libre ; personne ne contrôle ma conduite ; on me dit d’être heureuse et de jouir de la vie. Tous les plaisirs sont à ma portée, je ne sais que faire de l’argent qu’on me donne. Pourtant, je suis bien triste, Otto, et je regrette tous les jours davantage la maison modeste de ma pauvre tante Rachel. Je souffre à ne plus voir son visage serein et calme qui me rappelait le doux visage de ma mère ; je regrette ma petite chambre qui donnait sur le beau paysage de la montagne, l’air pur, l’horizon vaste et la cloche amie de la chapelle voisine qui sonnait mon réveil au point du jour…

» Je regrette… mais pourquoi me tromper, Otto ! c’est vous, vous seul qui êtes au fond de mon souvenir ! c’est vous que je regrette, et non point toutes ces choses que votre présence me rendait chères…

» J’aimerais Paris, si vous y étiez, et, si je ne vous trouvais plus aux environs de la maison de ma tante, je serais triste chez elle comme ailleurs…

» Otto, vous n’avez jamais voulu me dire le nom de votre famille, vous