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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/548

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ignorez le mien également, et quoique nous ayons échangé notre foi, nous restons étrangers l’un à l’autre. Cela me fait peur ; il y a des jours où je voudrais me confiera vous, malgré vous ; il me semble que ce serait un lien et je voudrais tant croire à notre union !… mais d’autres fois j’hésite et je m’applaudis de notre commune réserve.

» Je suis une fille folle. Je me suis jetée dans vos bras, et, pour m’attirer à vous, il n’a fallu qu’un signe. C’est mal. On dit que ma famille est noble et puissante ; il vaut mieux que vous ne sachiez point le nom de la pauvre insensée qui s’est faite voire esclave. Si Dieu laissait tomber sur moi son châtiment le plus cruel, si vous veniez à ne plus m’aimer, au moins mon imprudence resterait un secret pour le monde, et je n’aurais à subir ni la raillerie ni la pitié…

» La dernière fois que je vous ai vu, c’était dans les grands bois de mélèzes qui entourent le château des anciens margraves de Thor. J’étais venue d’Esselbach à cheval et nous nous promenions tous deux dans les sentiers de la montagne, en causant de l’absence prochaine.

» Vous promettiez de revenir dans un mois, mais quelque chose me disait que notre séparation serait bien plus longue. Nous arrivâmes, sans y penser, jusqu’au pied des murailles de la vieille forteresse.

» Ce sont des ruines démantelées, et les grandes salles où s’abritait la puissance des seigneurs n’ont aujourd’hui d’autres toitures que le ciel. Mais ce sont des ruines fières ; les remparts sombres parlent encore de prouesses et de batailles ; la haute tour qui reste seule intacte, au sommet de la montagne, semble un roi géant, debout sur les marches de son trône…

» Je me souviens que vous regardâtes longtemps en silence ces robustes débris d’une gloire passée. Il y avait sur votre front de la mélancolie, et je crus voir une larme tôt séchée trembler au bord de votre paupière…

» Ce n’était point moi qui causais cette émotion, Otto, cette douleur n’était point un avant-goût de l’absence. Je sais bien que, dans votre cœur, la première place n’est pas pour moi…

» Et je ne me plains pas ! et je prie Dieu ardemment de me garder la seconde !…

» Il me plaît de ne point vous arrêter dans votre voie. Le but que vous poursuivez doit être noble et juste comme vous-même ; marchez, oh !