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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/14

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— Non, non, non ! murmura le vieillard. Par le nom trois fois saint du Dieu vivant…

— Ne blasphémez pas.

— Je jure !…

— Regardez-moi.

L’usurier ne voulait point obéir.

— Je suis Araby, disait-il avec détresse, je suis le pauvre Araby… demandez aux gens du Temple !…

— Regardez-moi, répéta Rodach d’une voix sévère.

Araby releva enfin ses yeux qui clignotaient éblouis.

— Et voyez, reprit le baron, sans perdre sa froideur impassible, si j’ai pu vous oublier !

Le vieillard se couvrit le visage de ses mains et tomba sur ses deux genoux.

Sa frayeur superstitieuse le reprenait plus terriblement. C’était un fantôme qu’il avait devant lui, le fantôme d’un homme assassiné !

— Comte Ulrich, balbutia-t-il en rampant aux pieds du baron, ayez pitié !… c’était pour eux, c’était pour mes enfants !… Dieu seul sait comme je les aimais !…

Il resta durant deux ou trois secondes la face contre terre. Rodach gardait le silence.

— Et pour votre amour, dit-il enfin, cédant sans y songer à une sorte de pitié amère, ils vous ont chassé, pauvre vieillard !

— Non, oh ! non, s’écria l’usurier en se relevant à demi ; ce sont de bons enfants, de bons enfants qui m’aiment… Tous les soirs, ils se rassemblent autour de moi… Et comme je suis heureux !… Abel, mon fils, est plus fier qu’un gentilhomme… Esther est la veuve d’un comte chrétien… Sara, enfin, mon ange, mon beau trésor ! Sara, la perle de ma maison, suffirait toute seule à me rendre le plus heureux des pères !

Le sourcil de Rodach se fronça ; un mot cruel vint jusque sur sa lèvre ; mais il eut pitié encore, et le mot ne fut point prononcé.

— Que m’importe tout cela ! dit-il brusquement ; une dernière fois, voulez-vous escompter cette traite ?

— Je le voudrais, répondit le vieillard, perdant encore ses terreurs pour